La « Liste des traditions vivantes de Suisse », récemment actualisée, comprend désormais six traditions supplémentaires du canton de Berne : le Wybermahl de Hettiswil, le Velogemel de Grindelwald, les marchés de Huttwil, les Métairies du Jura, le rôle pionnier du canton de Berne en matière d’énergies renouvelables et la fonte de cloches pour bétail.
La Confédération vient de mettre à jour l’inventaire national des traditions vivantes. Un groupe d’experts mandatés par l’Office fédéral de la culture a accompagné le processus et recommandé l’inscription de 29 propositions issues de tous les cantons. Les six traditions suivantes, proposées par l’Office de la culture du canton de Berne, ont été admises dans la liste nationale.
Le Wybermahl de Hettiswil
Tous les deux ans, les femmes de Hettiswil (commune de Krauchthal) célèbrent le Wybermahl – repas des femmes – qu’elles financent grâce à une donation historique. En 1375, en effet, les femmes de Hettiswil défendent le prieuré clunisien local contre les pillages et les incendies perpétrés par les « Gugler », infligeant à ces derniers une cuisante défaite. Leur bravoure leur vaut alors d’obtenir du prieur le droit de couper du bois dans la forêt du cloître, le 26 décembre de chaque année, date de commémoration de la bataille. Par la suite, la forêt pâtissant trop de ce droit, la donation est modifiée : les femmes se voient accorder une prairie, dont l’exploitation doit leur permettre de financer une fête. En 1885, après plus de 500 ans, ce repas est interdit car la célébration sauvage des paysannes n’est pas du goût de tous. Les revenus de la prairie sont alors attribués aux classes de travaux manuels du lieu. En 1985, les citoyennes de Hettiswil forment un « Comité pour la réhabilitation du repas des femmes » et recourent avec détermination auprès de différentes instances pour faire valoir leur ancien droit. Elles obtiendront finalement gain de cause en 1990. Aujourd’hui, le Wybermahl, l’une des rares traditions suisses exclusivement entretenues par et pour les femmes, est célébré tous les deux ans sous une devise différente.
Le Velogemel de Grindelwald
Ce vélo des neiges est constitué d’un cadre en bois et de deux patins commandés à l’avant par un guidon. Il permet de se déplacer en position assise, en donnant l’élan avec les pieds et en effectuant des mouvements avec les jambes comme avec la draisine – première bicyclette imaginée par Drais. L’engin a été inventé en 1911 par Christian Bühlmann, natif de Grindelwald, diplômé de l’école de sculpture sur bois de Brienz et patron d’une scierie. Il permet de se déplacer plus rapidement sur des routes enneigées et pentues. Les habitants du lieu vont bien vite baptiser l’invention « Velogemel », par analogie avec le terme « Gemel », qui signifie luge en dialecte. S’il est encore utilisé aujourd’hui pour des tâches quotidiennes, le « Velogemel » tend à devenir un engin de sport ou un objet de collection. Le « Velomegel » constitue un bel exemple d’ingéniosité artisanale : une invention en apparence simple, qui remonte à plus d’un siècle et dont l’existence continue d’être étroitement liée à l’identité locale. Fabriqué dans la région, il est devenu un objet emblématique. Il se vend dans toute la Suisse et même au-delà des frontières.
Les métairies du Jura bernois
Les métairies forment la pièce maîtresse de l’économie alpestre des crêtes jurassiennes et de la chaîne du Chasseral en particulier. Apparu au XIIIe siècle, le métayage est un mode de location dans lequel le propriétaire et l’exploitant d’un domaine se partagent dépenses et récoltes à parts égales.
Aujourd’hui, le Chasseral accueille près de 5000 têtes de bétail en estive et compte 45 métairies appartenant à des bourgeoisies ou à des collectivités d’agriculteurs. Habitées durant la période d’estivage ou à l’année, certaines métairies produisent du fromage d’alpage perpétuant une tradition établie dès le XVe siècle. Beaucoup se sont converties en auberge de montagne. À partir de la fin du Moyen Âge, l’établissement de métairies a permis de valoriser les ressources naturelles de la montagne, contribuant de manière décisive au développement économique d’une région difficile d’accès et au climat rude. Les métairies ont favorisé l’épanouissement d’une société alpestre, dont témoignent aujourd’hui certaines écoles de montagne.
Les marchés de Huttwil
Huttwil en Haute-Argovie a préservé une tradition qui faisait de cette bourgade un important lieu de marché, à la lisière des cantons de Berne et de Lucerne. Si Huttwil n’a jamais possédé de droit d’étape écrit, le droit d’y tenir marché est néanmoins mentionné dès 1467. Aujourd’hui, cette commune ne compte plus guère que 5000 habitantes et habitants et n’a plus réellement le statut de ville. Il n’empêche qu’elle reste perçue comme telle et qu’elle s’emploie à faire vivre cette tradition, faisant fi des habitudes de consommation actuelles. Outre le marché aux fruits et légumes, qui fait chaque semaine la part belle aux produits régionaux, on y organise un Frühlingsmärit (marché du printemps), un Summernachtsmärit (marché d’été nocturne), un Zibele- und Herbstmärit (marché d’automne aux oignons) et un Altjahrsmärit (marché de fin d’année). À ces rendez-vous s’ajoutent d’autres événements thématiques comme le Wiehnachtsmärit (marché de Noël), le Käsemarkt (marché au fromage) et un Handwerkermärit (marché artisanal). Ces nombreux marchés, qui se tiennent dans une localité de taille moyenne, à l’écart des axes principaux actuels, témoignent de l’importance de cette tradition commerciale et de son rayonnement bien au-delà de la région. Commune, collectivités et population sont attachées à cette pratique, qu’ils entretiennent et renouvellent en permanence.
Exploitation d’énergies renouvelables dans le canton de Berne
Les anciens canaux commerciaux de Berthoud, exploités en coopérative, constituent un excellent exemple des nombreuses petites centrales hydrauliques gérées par des collectivités dans le canton de Berne. Le savoir-faire relatif au fonctionnement et à l’entretien des anciennes installations y est toujours transmis aux nouvelles générations. Pendant des siècles, les énergies renouvelables sont les seules sources d’énergie disponibles. Par la suite, le développement de la société industrielle voit l’avènement des combustibles fossiles, puis nucléaires. Néanmoins, l’exploitation des énergies renouvelables se poursuit : les anciennes installations sont entretenues et d’autres sont développées, le canton de Berne jouant en la matière un rôle pionnier. Pour preuve, en 1992, lors de sa mise en service, la centrale solaire du Mont-Soleil est la plus grande installation photovoltaïque d’Europe. Le laboratoire photovoltaïque de Berthoud permet alors, pour la première fois, de chauffer des habitations exclusivement à l’énergie solaire. Par ailleurs, le Mont-Crosin accueille le plus grand parc éolien de Suisse. L’entretien et l’exploitation en coopérative d’anciennes installations de production d’énergie sont distinguées dans la catégorie « Nature et univers », tout comme l’investissement dans le développement de nouvelles technologies pour l’utilisation d’énergies renouvelables.
Fonte de cloches pour bétail en bronze
Depuis les débuts de l’élevage, sans doute, l’homme a attaché des sonnailles à ses bêtes. En Suisse, les cloches coulées en bronze sont longtemps réservées aux usages cérémoniels et religieux. Utilisées pour le bétail à partir du XVIIIe siècle, elles se généralisent vers 1820. Dès l’origine, des motifs très variés ornent la robe de la cloche, racontant le quotidien des fondeurs et des paysans. Médaillons, crucifix, broches, mais aussi insignes militaires, boutons ou pièces de monnaies : ces représentations reflètent aussi les croyances, les espoirs et les peurs des populations rurales d’hier et d’aujourd’hui.
Dès le début du XIXe siècle, on recense en Suisse quelque 200 fondeurs. Les premiers sont des chaudronniers itinérants originaires du Piémont qui passent l’été dans notre pays et coulent les cloches dans les cours des fermes ou sur les places de villages. Peu à peu, des ateliers vont s’ouvrir sur la quasi-totalité du territoire suisse. Par la suite, le savoir-faire accumulé par les fondeurs, souvent au sein d’une même famille sur plusieurs générations, va progressivement disparaître. De nos jours, il ne reste que cinq ateliers entretenant encore ce savoir-faire en Suisse et seuls ceux de Bärau et d’Uetendorf (BE) exercent encore ce métier comme activité principale.
Conserver le patrimoine culturel immatériel
Conformément à la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO, la Suisse est tenue de dresser un inventaire des traditions vivantes. Cet inventaire est remanié et mis à jour régulièrement. À cette occasion, les cantons sont invités à passer en revue les entrées existantes et à proposer l’inscription d’autres traditions de leur région. Le canton de Berne tient son propre inventaire des traditions vivantes, qui sont transmises depuis des générations sur le territoire cantonal. Cet inventaire, dont les entrées sont proposées par des groupes, clubs et associations, a été remanié – à l’instar de l’inventaire national. Il sera publié d’ici la fin de l’année.